Une fleur de myosotis bleu
dont un pétale se détache vers le haut sans tomber
La fleur de myosotis dit : « ne m’oubliez pas »
Le pétale qui se détache sans tomber dit :
« même si je ne peux m’attacher à vous »

Bienvenue sur le site de
PETALES Belgique

Le site de l’association de Parents d’Enfants présentant des Troubles de l’Attachement,
L
igue d’Entraide et de Soutien

Partie 4 : L’attachement dans l’adoption

⇐ Comment ? : Partie 3

Si je vous en parle, c’est parce que l’adoption est une sorte de « travaux pratiques des questions de l’attachement » et que de plus, on retrouve des enfants adoptés dans beaucoup d’institutions et dans beaucoup de cabinets  thérapeutiques.

« La mère adoptive ne se charge pas d’un enfant, mais d’un problème.
En devenant mère, elle devient la thérapeute d’un enfant carencé »

Donald W.Winnicott (1954)

« L’enfant est également considéré comme carencé, si quelle qu’en soit la raison, il se trouve séparé de sa mère. Les conséquences de cette carence seront relativement bénignes s’il est soigné par quelqu’un dont il a déjà l’habitude et en qui il a confiance ; elles risquent d’être considérables si la mère nourricière, même affectueuse, est une étrangère »

John Bowlby

Dès 1944 Bowlby définissait bien la place des mères adoptives « affectueuses et étrangères »

C’est étrange quand même. Voici deux phrases écrites par d’éminents thérapeutes. John Bowlby président de l’association internationale de psychiatrie infantile et psychanalyste et Donald Winnicott pédiatre et psychanalyste. La première écrite il y a 66 ans, la seconde il y a 76 ans ! Et si Bowlby a été peu ou mal étudié dans les auditoires, par contre la part belle a été faite à Winnicott dans toutes les formations des professions concernant l’enfance.  Or, il dit : « quand une mère adopte, elle ne se charge pas d’un enfant mais d’un problème.»

Que s’est-il donc passé pour qu’on n’ait gardé de lui que ce qui nous convenait ?  Pourquoi nous dit-on encore régulièrement que « l’amour va tout arranger », qu’il suffit de parents aimants, d’un bon apparentement pour qu’une adoption réussisse, pour qu’un enfant adopté puisse adopter ses parents et faire avec eux de nouvelles et solides racines ?

Dans notre naïveté, nous parents adoptifs, l’avons même cru. Au début en tout cas.
Dans leur livre « L’éthologie » (1) Véronique Servais et  Jean-Luc Renck nous rappellent pourtant cette « conspiration du silence dénoncée par René Zazzo la même année (1972 ndlr) répond à la théorie éthologique de l’attachement à sa mère, élaborée par Bowlby à partir de 1958 ».
Nous allons essayer d’analyser tout ça :

« Comment peut-on encore imaginer qu’un enfant adopté à la naissance puisse aller bien alors qu’il vient de perdre tous ses repères, acquis pendant 9 mois, à commencer par l’odeur apaisante de sa mère ?»

C’est ce que nous disait Pierre Delion, Professeur, Chef de clinique et Pédopsychiatre  au CHU de Lille le 3 décembre 2009 dans une conférence sur la « Compétence des bébés » organisée par les Matinales de l’Enfance à Waterloo.

Nous ne sommes pas du tout dans la même histoire.

 

Et malgré la violence de nos émotions, c’est nous, les parents qui allons tout de suite devoir protéger, jouer les pare-feu, en « oubliant » notre besoin de fête pour contenir tout doucement le petit dans toutes ses émotions contradictoires et même …accepter qu’il nous rejette.
Et pour certains, cela peut durer longtemps.  Il vaut donc mieux s’y préparer.

Les parents, après souvent une longue attente, beaucoup d’angoisse et de souffrance vont enfin rencontrer leur enfant.  Ils sont fous de joie, dans un déluge d’émotions et de rêve de famille, de bonheur.

L’enfant, lui perdant tout ce qu’il connaissait, même si ce qu’il connaissait était douloureux et destructeur, arrive dans l’inconnu. « L’angoisse de l’inconnu, nous dit Bernard Golse est plus forte que la douleur du connu »  (2)
Qu’est-ce qui pourrait l’amener à faire confiance à ces deux-là ?
Il ne peut pas être dans notre joie.  Il doit de plus être protégé d’un afflux d’émotions qu’il ne peut pas partager, qui sont trop lourdes pour lui, trop envahissantes, qu’il ne peut pas reconnaître et qui l’étouffent. Il va donc s’en protéger par tous les moyens qu’il trouvera.

Et d’abord pour le petit : c’est quoi des parents ? La seule référence qu’il a ce sont les adultes qu’il a rencontrés.  Qui étaient-ils ? Comment se sont-ils comportés avec lui ?  A-t-il pu intégrer ce que cela voulait dire « pour toujours ? » puisque jusqu’à présent, le mot « toujours » n’a eu aucun sens pour lui.

Donc, un enfant arrivant en adoption a rarement appris ce qu’est un parent.  C’est une découverte très difficile à faire.

Pour un petit qui vient de naître et qui est accueilli dans la vie par ses parents de naissance, la continuité existe déjà à la naissance.  Voilà 9 mois qu’elle se met en place et si tout va bien, elle va se renforcer rapidement. Même s’il ne peut en donner d’explication rationnelle, un enfant né dans de bonnes conditions sait ce qu’est un parent, reconnaît les siens et leur fait spontanément confiance.

Un enfant qui arrive en adoption se trouve devant des inconnus.  Il ne peut les reconnaître.  Bien souvent, ils sont non seulement inconnus mais étranges, différents de tous les adultes déjà rencontrés avec des visages européens alors que ces petits ne connaissent que les visages d’un autre coin du monde. Et c’est en ces inconnus aux visages, au langage, à l’odeur si étranges qu’il devrait faire spontanément confiance ?

C’est impossible. Imaginons-nous, un seul instant, nous adultes dans une telle situation. La majorité d’entre nous « pèterait les plombs ».
Les expériences passées, même s’il est très jeune, ne lui ont pas permis d’intégrer ce qu’est un parent, un adulte fiable, prévisible sur lequel il peut compter pour répondre à ses besoins et l’aider à grandir et cela pour toujours.

Ecoutons le cri d’un petit garçon à sa mère adoptive :

« Je ne peux pas t’appeler « Maman »,

parce que les mamans, ça abandonne ! »

 

Cette phrase m’a été rapportée par une mère adoptive.

On ne peut comprendre le monde qu’à partir de l’expérience que l’on en a. Déjà beaucoup d’adultes sont passés dans sa vie et puis sont partis.

Nous devons donc d’abord,

lui construire une nouvelle carte de compréhension du monde

Cet apprentissage se fera plus lentement, plus difficilement, parce qu’il remplacera sa découverte originelle du monde qui est toujours la plus tenace et donc la plus difficile à changer. Il aura besoin d’un environnement familial paisible, sans trop de va et vient, sans trop de changements, avec la présence la plus continue possible de son père et de sa mère pour qu’il arrive petit à petit  à différencier ses parents de tous les autres adultes. Et pas seulement dans leur apparence mais surtout dans leur fonction, dans la relation particulière qu’ils construisent  avec lui.

Une caractéristique assez générale des enfants souffrant de Troubles de l’Attachement, et donc une caractéristique assez générale des enfants adoptés, c’est qu’ils peuvent suivre n’importe qui sans se poser de questions alors que dans la même situation,  les autres enfants hurleraient de ne plus voir leur mère. Pour eux, même s’ils ont l’air très attachés à leurs parents, tous les adultes sont interchangeables. Cela pose d’énormes problèmes, tant à eux qu’à leurs parents.  Cela en posera rapidement à la société quand plus âgés, adolescents, ils suivront aussi n’importe qui et croiront n’importe quoi.

Une autre raison pour laquelle le moment d’accueillir un enfant en adoption doit privilégier le plus long- temps possible d’intimité sereine, pas bousculée, entre l’enfant et ses nouveaux parents, c’est que les reconnaissant comme personnes essentielles à sa vie, il doit aussi les reconnaître fiables. Et cela prend du temps. La contenance, la cohérence, la rythmicité, la continuité, la prévisibilité, reçues de ses parents doivent lui donner petit à petit cette nouvelle carte de compréhension du monde.  Où il peut s’y retrouver.  Où petit à petit il peut faire confiance. C’est la base de la sécurité interne.

Alors, on oublie la fête, les ballons, les cadeaux et tout le monde qui passe à la maison pour voir ce merveilleux petit. Il n’est pas dans la fête, il aborde l’inconnu, il doit être protégé de toute surstimulation, de tout débordement d’émotions des adultes.
Les grands parents seront aussi tenus à distance, le temps que le petit comprenne ce qui lui arrive et qui sont ses parents.
Oh, c’est très difficile, c’est normal. Tout le monde est dans l’attente de rencontrer ce petit qui va prendre une place importante dans la vie de chacun.
Pourtant, le meilleur cadeau à lui faire est de rester à distance, de respecter le temps qu’il faudra à l’enfant pour comprendre ce qui lui arrive, de faire le deuil de son passé quel qu’il soit et si petit qu’il soit,  et intégrer petit à petit les personnes importantes de sa vie, élargissant chaque fois le cercle de sécurité, de ses parents à ses frères et sœurs, à ses grands-parents, à ses oncles et tantes, cousins, amis de la famille, etc…
Les cercles de sécurité vont ainsi se construire.

C’est cela le plus beau cadeau d’adoption qu’on puisse lui faire

C’est aussi très difficile.  Cela demande la capacité de faire la différence entre ses propres besoins affectifs et les besoins de l’enfant.  Pour toute la famille élargie, pour toutes les relations des parents.
Et ce sont les parents qui décideront quand l’enfant sera prêt d’aborder une prochaine étape. Le respect du temps de l’enfant est ici fondamental.  Le respect de la distance émotionnelle que toute personne doit garder vis-à-vis de l’enfant est indispensable.

Toute l’éducation, tous les apprentissages – donc la scolarité – ne peuvent se construire sans la confiance. C’est la confiance qui permet à l’enfant de ne plus s’occuper de sa sécurité mais de s’ « abandonner à d’autres occupations ».  C’est la confiance qui  permet d’accepter l’éducation faite de limites et de frustrations et  qui autrement serait perçue comme de la maltraitance, Elle donne la sécurité interne qui permet l’exploration, les apprentissages.
Cette sécurité interne est apportée par la figure d’attachement principale, en général la mère assistée par le père, qui devient rapidement une seconde figure d’attachement principale. Or, sa mère d’origine lui a fait défaut. Il ne peut donc faire confiance spontanément à une nouvelle mère.   Il est donc impératif que la mère et le père soient d’une grande disponibilité suffisamment longtemps dans les premiers temps de l’arrivée de l’enfant pour construire cette solidité de base, cette sécurité interne.

Un enfant qui arrive en adoption ne peut pas se retrouver le lendemain à la crèche ou à l’école. Il faut prévoir le plus long congé possible pour les parents.

Un enfant malmené par la vie, qui a perdu sa maman de naissance, qu’il ait 2 jours ou 12 ans (nous en connaissons trop d’exemples pour ne pas le souligner) ne pourra pas faire  facilement confiance en ses nouveaux parents. Sa première capacité de confiance dans les adultes a déjà été brisée. Comment pourrait-il rapidement la reconstruire en s’adaptant immédiatement à deux inconnus, à de nouveaux rythmes de vie, à une nouvelle culture s’il est un peu plus grand ? C’est impossible. Il faut qu’il s’imprègne de ses deux parents, dans un rythme de vie régulier où ils sont ceux qu’il voit le plus, ceux qui organisent sa vie et ses soins, ceux qui ont toujours  la première place dans sa vie. Jusqu’à ce qu’il puisse se rassurer tout à  fait et leur faire suffisamment confiance pour aller vers d’autres, grands-parents, garderie, école,  en toute sécurité et en gardant en lui leur place de parents.

Nous connaissons trop d’enfants qui n’ont pas manifesté  de problèmes dans leur petite enfance, qui avaient l’air bien adaptés, en confiance avec leurs parents et qui en grandissant ont exprimé tout leur désarroi par des troubles de comportement souvent très graves. Les parents reconnaissent souvent qu’ils sentaient bien que sous des  dehors adaptés, leur enfant n’avait pas profondément confiance en eux.

On croit souvent qu’un enfant va bien quand il n’exprime ni trouble psychosomatique, ni trouble du comportement. C’est une erreur.  Leur capacité d’adaptation  pour ne pas être rejeté est immense. Mais un jour, souvent dès la préadolescence, leur désarroi même  inconscient ne peut plus se contenir, alors il déborde, souvent très gravement et dans l’incompréhension générale.

Les enfants adoptés arrivent avec un deuil, un traumatisme grave quelles que soient les causes de leur abandon. On ne saurait exiger d’eux les mêmes capacités  qu’un enfant désiré et attendu sereinement par ses parents de naissance. Ils ont besoin d’un temps de gestation supplémentaire, contenus par leurs nouveaux parents.

L’enfant qu’on adopte a besoin de temps pour instaurer ces deux-là en figure d’attachement principales.  Il a besoin d’une « bulle à trois »suffisamment longue pour en être imprégné et pouvoir la quitter le temps scolaire en toute sécurité. De plus, il  est en deuil  de ses attaches passées et de tout son passé. Même si ce passé était épouvantable !   Comment pourrait-il supporter le débordement d’amour de ceux qui l’accueillent – quand ce n’est pas la fête et les grandes manifestations de bonheur ? Cela aussi, c’est leur faire violence, c’est  nier  l’abandon.

Et tout le monde doit se rappeler, ou apprendre, ce que Bowlby nous dit dans « Attachement et perte » et que bien d’autres avaient suggéré avant lui : que quand un deuil n’est pas bien réalisé, tous ceux qui voudraient consoler, effacer la souffrance sont souvent perçus comme des persécuteurs.

Qui sont ceux-là qui prétendent me consoler de l’inconsolable
et remplacer une perte irremplaçable ?

S’ils se mettent d’emblée dans cette situation, les parents adoptifs ne seront jamais adoptés. Certaines douleurs ne se consolent pas, elles s’accompagnent. Certaines pertes restent irremplaçables. C’est donc une tout autre histoire qu’il faudra construire.

La première chose à apprendre pour tout parent adoptif c’est de bien faire la différence entre ses sentiments, ses besoins, ses désirs, et ceux de son enfant.
Notre bonheur, notre amour, il pourra y participer plus tard, peut-être, si nous avons pu reconstruire avec lui une sécurité interne indispensable à son évolution.

L’adoption n’est pas une seconde naissance. C’est la construction d’une nouvelle filiation, définitive. L’enfant qui nous arrive est déjà né. Il a un passé, même si nous l’adoptons dès sa naissance.
Ce passé lui donne une première vision du monde qui restera fondamentale pour la suite de l’histoire.

C’est ce que Winnicott lui-même disait déjà dans ce texte de 1954( ) en divisant les enfants adoptés en deux groupes :

  • Ceux qui avaient connu une vie cohérente avant leur adoption et qui dès lors étaient capables d’un nouvel attachement
  • Ceux qui ont connu de la « confusion »  et pour qui cela devenait beaucoup plus difficile

C’est bien ce que nos enfants nous ont appris avant que nous ne découvrions ce texte.

Notre première tâche de nouveaux parents sera donc impérativement de connaître autant que possible le passé de notre enfant. Relire le « Journal d’un bébé » de Daniel Stern et nous interroger sur ce que vivait notre enfant quand il aurait dû faire ces découvertes en relation confiante, continue et cohérente avec une personne de référence.
C’est une première lecture des difficultés que nous rencontrerons et cela nous permettra d’établir les comportements parentaux nécessaires à la reconstruction psychique de l’enfant.

Parce que  Oui, il a besoin d’amour et non, il n’est pas capable de le recevoir.  C’est cela notre première tâche, reconstruire tout ce qui n’a pas pu l’être ou qui a été détruit quand il était petit.

Quand un enfant est complètement dénutri, on ne va pas l’amener au restaurant, lui offrir un steak  et puis des glaces parce qu’il en a tellement envie, qu’il en a été tellement privé !  Chacun reconnaîtra que c’est la façon  la plus radicale de le tuer, qu’il faut y aller avec prudence dans la réalimentation. Reconstruire doucement ses capacités à absorber de la nourriture, à la digérer, à l’assimiler.

En matière de psychisme et aussi de sentiments, c’est exactement la même chose. Il a besoin d’amour et pour être capable de le recevoir sans en mourir, il a d’abord besoin de sécurité. De sécurité interne.  De confiance, de la certitude que ces deux-là ne le laisseront jamais tomber. Et là, les mots ne suffisent pas.

L’abandon n’est non plus jamais un don. Même si la mère qui abandonne le fait pour le meilleur de son enfant. Certains croient consoler l’enfant en lui présentant sa situation de cette façon.
L’enfant lui, ne ressent que l’abandon, du rejet. Il intériorise qu’il est mauvais.
Avez-vous vu ce merveilleux film « Va, vis et deviens », où pendant la famine en 1984 en Ethiopie, et lors de l’Opération Moïse, quand Israël a mis sur pied un pont aérien  pour sauver les Falachas – les juifs éthiopiens – une maman chrétienne a confié son enfant à une maman juive, pour le sauver de la mort. Il a fallu des années  à cet enfant pour comprendre que sa mère ne l’avait pas abandonné et qu’il n’avait rien fait de mal pour qu’elle l’abandonne.

Un petit mot encore sur les situations conflictuelles difficiles, et même sur la violence, souvent retournée contre la mère.
Oui, être mère adoptive c’est aussi être capable de recevoir toute la détresse de l’enfant abandonné. Sa colère aussi.  Sa colère contre l’abandonneuse, sa mère.  Oui, mais, la mère, c’est nous.  Et même s’il fait la différence, nous la représentons, symboliquement. Il leur est plus facile de nous détester que de détester l’absente qui existe en eux. Nous sommes là et en recevant sa haine, nous lui évitons aussi  une sorte de trahison de sa mère de naissance.  Il ne pourra tenir que si nous comprenons que cette haine ne nous est pas destinée, si nous ne nous effondrons pas, si nous comprenons que c’est aussi notre rôle, et, en nous protégeant et en remettant les choses en place, calmement, nous reconnaissons la légitimité de cette haine et de cette colère. N’oublions pas que la majorité d’entre eux n’ont eu personne pour nommer leurs émotions et sentiments, positifs comme négatifs.  C’est le moment de réparer par notre attitude.  Mais qui a appris cela avant d’adopter un enfant ?

D’autre part, pour accepter l’éducation et ne pas la voir comme une maltraitance, (les limites, les frustrations)  l’enfant doit avoir confiance en ses parents.  Si cette confiance n’est pas profonde, il se sentira maltraité et le fera savoir, surtout en dehors de la famille.  Les parents accusés à tort de maltraitance sont nombreux.  Et cela dans tous les pays.
Les intervenants, les autorités judiciaires sont rarement formés à cette question.  Donc, des enfants perdent leurs parents alors qu’ils auraient dû être confortés dans l’assurance que ces parents sont les siens et qu’il peut leur  faire confiance. Et beaucoup de bons parents perdent ainsi leurs enfants.

Non,  nous ne serons pas de bons parents ordinaires.
Nous serons les meilleurs parents possibles pour cet enfant-là. Et ce n’est pas du tout la même chose.

 

Les parents adoptifs ne peuvent rester seuls

Bien sûr, l’intimité familiale doit être préservée.  Mais ils ont besoin de dialogue avec les intervenants de l’enfance et avec d’autres parents adoptifs dans les mêmes questions.
Dans la situation adoptive, il ne faut pas être seul.  Mais au contraire s’entourer d’intervenants de confiance qui bien sûr travaillent sur l’attachement, se former soi-même et informer son entourage.

Non, nous ne serons pas de « bons parents ordinaires » parce que nous n’avons pas un enfant qui est né dans une situation ordinaire.  Nous serons les meilleurs parents possibles pour cet enfant-là.  Et ce n’est pas du tout la même chose.
Construire un attachement secure avec un enfant qui a vécu des ruptures, est un défi, un défi très complexe. Nous n’en avons donc pas fini d’apprendre quel que soit l’âge de notre enfant.

Et ne pas oublier que le premier moyen pour aider un enfant en difficulté c’est de bien connaître notre propre mode d’attachement, de travailler notre propre sécurité interne et de bien séparer nos émotions des siennes.
Cela que l’on soit parent ou intervenant de n’importe quelle formation, de n’importe quelle expérience.

 

Et si tout dérape ?  Si cela devient vraiment trop difficile ?

Les angoisses sont là.  Comment rendre la vie quotidienne possible ? Comment protéger les autres enfants de ces dérives, de ces violences et leur accorder suffisamment de temps alors que leur frère ou sœur qui a des troubles de l’attachement envahit tout l’espace, envahit tout le temps, et que tous les autres sont projetés comme à la périphérie d’une centrifugeuse.  Il n’y a plus rien pour eux que notre épuisement. Or, ils ont aussi besoin de nous, ils doivent aussi grandir dans les meilleures conditions.  Et c’est impossible.

La première solution, souvent même quand ils sont encore très jeunes est l’éloignement.  Beaucoup d’institutions et d’intervenants croient alors que nous voulons nous en débarrasser pour souffler.
Il y a beaucoup  plus important à comprendre.
Pour un enfant souffrant de troubles de l’attachement, le climat proche, affectif de la famille est insupportable, terrorisant, étouffant.  Il le met devant le risque d’une nouvelle rupture qu’il ne pourrait affronter.  Si cela tient, cela pourrait casser. De plus nos sentiments et émotions se confondent aux siens, il ne peut les distinguer, c’est un envahissement insupportable.  Les relations affectives sont donc pour lui inopportunes, même s’il les réclame. Donc il s’en protège par tous ces comportements.

Or, il a besoin de parents.
Comment construire un père et une mère, fiables mais pas dangereux ?
De plus loin, en construisant la confiance. Non, l’amour si grand soit-il n’arrange pas tout. Il lui faut d’abord une base solide où se poser. Cette base solide c’est la confiance, la sécurité interne.

Mais pour cela, il faut tout le contenant.  Ce contenant, cela peut-être  l’institution et tous les intervenants avec les parents  autour de l’enfant.  Il faut que toute l’équipe, en dialogue avec les parents comprenne l’enjeu de cet éloignement : soulager l’enfant du poids de l’affectivité tout en construisant sa sécurité interne, ses parents.

Une connaissance commune des bases de l’attachement, des stratégies de protection et de la compréhension du monde par cet enfant-là est indispensable à  tous les intervenants, parents compris. Le dialogue est une nécessité absolue à rechercher pas à pas, sans crainte des échecs inévitables mais en continuant à chercher.

Ce dialogue, pour être constructif nous demande de remettre en cause toutes nos certitudes, quitte à en retrouver par après.  Il nous fragilise donc. Mais c’est l’instant de déséquilibre qui permet d’avancer, de marcher. Et il fait peur. La peur de l’inconnu et d’y expérimenter nos fragilités.

Il est donc primordial tant pour les parents d’enfants à l’attachement insecure que pour tous les intervenants dans la vie de ces enfants, de travailler leur propre sécurité interne. Notre sécurité interne sera mise à mal par ces enfants – pour avoir le contrôle, ils perçoivent les failles de chacun et c’est là qu’ils visent. Notre sécurité interne sera également mise à mal par les savoirs, formations et expériences des autres intervenants, parents compris. Parce que la question de l’attachement est une question de base, de la base du psychisme humain et tout ce qui se développera à partir de cette base sera d’une trop grande complexité pour l’enfermer dans un seul mode de décodage.

Nous devons donc chacun, avec beaucoup de modestie, mais aussi de détermination, avancer dans cette complexité. Affiner nos observations, les confronter avec d’autres pour petit à petit entrer dans la vraie relation dont nos enfants ont besoin.  Et ne pas se contenter de chercher à supprimer les symptômes.

Je rappelle que les bases d’une construction de sécurité interne que nous apprenons entre nous, dans les faits concrets des vies quotidiennes en familles sont :

La contenance, la cohérence de notre organisation familiale, de nos décisions, la prévisibilité, la rythmicité, et la continuité. 

C’est ce dont a besoin un tout petit bébé dès le début de sa vie pour construire sa première vision cohérente du monde, c’est ce dont ont besoin tous les enfants en risque de troubles de l’attachement, en situation de rupture.  Beaucoup, beaucoup  plus que la normale. Parce que même beaucoup plus grand, c’est le bébé qu’il faut soigner dans l’enfant. Et aussi dans l’adulte.  Celui qui a tout perçu, tout compris de travers parce qu’il n’avait pas la personne adéquate pour l’aider à comprendre ce qu’il vivait.

Ces principes sont tout aussi indispensables en institution. Et il est fondamental d’en discuter entre les parents et intervenants pour que l’enfant s’y retrouve et trouve entre eux son contenant.
L’inscription dans le temps des moments de vie.  L’inscription dans l’espace.  Un enfant n’est pas un objet qu’on peut déporter d’un endroit à l’autre suivant ce qui est possible et pratique. Et un enfant à risque de troubles de l’attachement n’a de plus pas intégré la notion d’espace.  Il est donc comme un météorite perdu.
Dans son dernier livre : « cerveau augmenté, homme diminué »(3), Miguel Benasayag en donne l’importance : « la maitrise de nos émotions, écrit-il implique l’inscription de notre corps dans un lieu physique devenu familier, un « territoire à soi » où exister, penser et sentir.»
Cette réflexion à elle seule peut améliorer grandement l’évolution de nos enfants.  En institution comme en famille.  En institution, c’est encore plus  difficile, la réflexion n’en est que plus importante.
Un territoire à soi, où exister, penser et sentir.  Ce territoire est un premier contenant.  Nous en avons tous besoin : notre domicile, la chambre. A partir de là, les relations peuvent se construire, la cohérence de la vie peut petit à petit être assimilée.

Et ce n’est pas pour rien que les enfants à l’attachement insecure déterritorialisent tout et n’investissent aucun lieu, comme leur chambre,  tout en les asservissant tous.

Ils sont de partout et de nulle part.

 

« Avoir un chez soi est un point d’ancrage nécessaire pour exister comme sujet » nous disait Jean-Michel Longneaux, philosophe namurois, dans une conférence sur l’errance des adolescents. (4)

Comment les aider à être quelqu’un de quelque part ?

La continuité aussi est fondamentale.  Continuité des lieux, continuité des personnes.  C’est encore plus difficile en institution où les plannings et la vie privée de chaque intervenant sont là et ont le droit d’y être.  C’est très compliqué.  Il n’en demeure pas moins que l’enfant a un besoin absolu de continuité dans  les personnes qui s’occupent de lui. Et que ces ruptures de lien, de référent indisponible, même s’il a l’air de s’adapter, le confortent dans la certitude que rien ne tient et  l’empêchent aussi de relier un moment de vie à un autre.

J’aurais pu vous parler des symboles, du langage qui n’a pas le même sens pour eux que pour nous.
De bien d’autres situations.  Vous retrouverez ces thèmes dans notre rubrique « Thèmes abordés ».

Et il faut aussi considérer les Troubles de l’Attachement  dans notre époque. Le temps et l’espace qui se confondent par la foule de petits appareils qui nous permettent d’être avec quelqu’un qui n’est pas là et d’être ailleurs que là où nous sommes.
La terrible difficulté aussi à prendre conscience de l’Autre quand une des premières valeurs de notre société est la concurrence. Et qu’il y a même des lois pour la protéger.  Toutes ces questions méritent un long développement.  La réflexion ne fait que commencer.

Et ne jamais oublier – que l’on soit parent ou professionnel de l’enfance – que  le premier moyen pour aider un enfant en difficulté  c’est de :

Bien connaître notre propre mode d’attachement

Travailler notre propre sécurité interne

Bien séparer nos émotions des siennes

Et aussi que :

Contenance, cohérence, fiabilité, prévisibilité, continuité

sont les bases de construction d’une sécurité interne

 

Quelques ouvrages et documents de référence :

Livres :

« L’attachement : un départ pour la vie » de Yvon Gauthier,Gilles Fortin et Gloria Jeliu (Chu Ste Justine – Montréal)
« Journal d’un bébé » Daniel Stern (O. Jacob Poche)
« Lóczy ou le maternage insolite » Myriam David et Geneviève Appel (ERES 1001 BB)
« La normalité adoptive » Johanne Lemieux (Québec Amérique 2013)
« L’enfant blessé, l’enfant qui blesse – Méthodes éducatives spécifiques pour parents d’enfants présentant des troubles de l’attachement » Alexandra Bosworth (chez l’auteur)
« Les naufragés, avec les clochards de Paris » Patrick Declerck (Terre Humaine, Poche)
« L’enfant adopté : comprendre la blessure primitive » Nancy Newton Verrier (De Boeck)
« L’enfant abandonné : guide de traitement des troubles de l’attachement » Niels Peter Rygaard
(De Boeck 2005)
« Forces et souffrances psychiques de l’enfant » Michel Lemay (ERES)
– T.1 « Le développement infantile»
– T.2 « Les aléas du développement infantile »
– T.3 « Approches thérapeutiques : espoirs et inquiétudes »
« J’ai mal à ma mère » Michel Lemay (Fleurus – psychopédagogie 1979 – p.272)
« Gérer les comportements difficiles chez les enfants – pistes et stratégies d’intervention »
Paul Leurquin et Stéphane Vincelette (Erasme)
« La fonction parentale » Pierre Delion (Yapaka – Temps d’arrêt)
« La résilience » S. Tisseron (Que Sais-je ? 2007)
« La méthode Aucouturier : fantasmes d’action et pratique psychomotrice »
Bernard Aucouturier (De Boeck 2005)
« L’enfant et sa famille » D.W. Winnicott
« L’enfant et le monde extérieur » D.W.Winnicott
« Jeu et réalité » D.W. Winnicott (Folio Essais 1975)
« Attachement et Perte » John Bowlby 3 T. (PUF)
« Adolescences : repères pour les parents et les professionnels » Philippe Jeammet
(La Découverte 2012 5è édition)
« Ces enfants qui tiennent le coup » sous la direction de B. Cyrulnik (Hommes et perspectives )
« La fonction phorique » Pierre Delion (Erès – Thema/Psy mai 2018)
« La vie des émotions et l’attachement dans la famille » Michel Delage (Odile Jacob 2013)
« Le lien, la psychanalyse et l’art d’être parent » J. Bowlby (Albin Michel 2011)
« L’attachement, de la dépendance à l’autonomie » illustrations pratiques
Sous le direction de Anne-Sophie Barbey-Minntz, Romain Dugravier et Odile Faure-Fillastre (ERES Petite collection enfances & PSY 2016)
Films:
« John John » de Brillante Mendoza 2007
« Ladybird » de Ken Loaach 1994
« Va, vis et deviens » de Radu Mihaileanu 2005
« Lion » de Garth Davis 2017

Documentaires:
« Lóczy une maison pour grandir » et « Lóczy une école de civilisation » films de Bernard Martino
(ERES http://www.editions-eres.com/collection/serie/7/256/pikler-loczy-1?page=2
« Mercy, Mercy » de Katrine Riis Kjaer (Danemark 2012)
« Les enfants volés d’Angleterre » de Pierre Chassagnieux et Stéphane Thomas
« La rencontre de votre bébé à la naissance » Dr Pierre Rousseau (O.N.E. Bruxelles 2003-2004)

Textes :

Katalin Hevesi
La préparation à l’adoption à l’Institut Pikler (Lóczy)
http://copytaste.com/ed2b40n2

Marie-Laure Bouet-Simon
Les facteurs de risque et les critères de l’adoptabilité d’un enfant
http://petalesinternational.org/documents/Docs/10SIMONAdoptabilit%C3%A9desenfants.pdf

Johanne Lemieux
Cultiver l’attachement ou l’art d’être un parent-jardinier
http://efa01.alwaysdata.net/index.php/com-finder/bulletin-efa-01/bulletin-2012/25-johanne-lemieux

« Haïr, en toute sécurité »
http://petalesinternational.org/documents/PDF/Editos2008.pdf

« L’attachement : applications thérapeutiques chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte »
Colloque international Paris 6,7 et 8 juillet 2005
Compte rendu sur http://petalesinternational.org/documents/Docs/ColloqueattachementParis2005.pdf

Jean-François Chicoine
« Lien d’attachement : des solutions à hauteur des familles » (Compte rendu de cette conférence sur Bulletin de liaison de PETALES-Belgique n° 86 de janvier 2010)

Michel Delage
« Attachement et adolescence » (compte rendu d’une conférence de dans Bulletin de liaison de PETALES-Belgique n° 93 – septembre/octobre 2010)

Jeanne Magagna (de la Tavistoc Clinic of London)
« Trois modes d’identification utilisés par les enfants placés et adoptés »
In « L’observation du bébé selon Esther Bick, son inérêt dans la pédopsychiatrie aujourd’hui » sous la direction de Pierre Delion (ERES 1001 BB)

Marc-Yves Leclerc (pédopsychiatre Chicoutimi – Québec 2008)
« Le tour du monde de la théorie de l’attachement en… moins de 80 diapositives »

Bernadette Nicolas
Colloque PETALES International (mai 2011 Dampremy – Belgique)
Attachement et troubles de l’attachement :
« Pour construire la sécurité interne, l’indispensable alliance Parents/professionnels »
http://petalesinternational.org/Colloque.php
Tous les textes de ce colloque se trouvent également sur le site.

« L’alliance parents/professionnels : contenant du terreau d’une sécurité interne. »
Conférence au colloque de Parole d’Enfants « Eclairer nos pratiques à la lumière des théories de l’attachement – Liège 24 mai 2019

« Voyage au pays de l’abandon, pays d’origine de beaucoup d’enfants »
Colloque de Parole d’Enfants, Paris décembre 2013

« Ce que les parents adoptifs auraient voulu savoir – au minimum – avant d’adopter leurs enfants »
Intervention pour ouvrir un débat avec des psychologues chargés de la préparation des candidats adoptants – 22 novembre 2010

Voir aussi : L’asbl Air Libre : colloque du 6 mars 2020 :Psychomotricité et santé mentale : « Les troubles de la relation précoce

 


(1) « L’éthologie : Histoire naturelle du comportement » Jean-Luc Renck et Véronique Servais (Point Sciences 2002 p.288)
(2) Bernard Golse : « L’être bébé » Les questions du bébé à la théorie de l’attachement, à la psychanalyse et à la phénoménologie (PUF – Le Fil rouge Psychologie et Psychanalyse 2006) et aussi dans  « L’insécurité comme premier modèle sécurisant », édito du bulletin de liaison de PETALES n° 88 – mars 2010
(3) « Cerveau augmenté, homme diminué » Miguel Benasayag (La découverte 2016)
(4) Voir le compte rendu de cette conférence de Jean-Michel Longneaux dans notre rubrique ‘Thèmes abordés » : Adolescence

⇐ Comment ? : Partie 3